La réalité de Bertha
Mon nom est Bertha. Je suis née à Sainte-Lucie, dans les Caraïbes. J’ai quatre frères et une sœur. Je ne connais pas mes parents ; ils sont décédés lorsque j’étais très jeune. J’ai été élevée par mon oncle et ma grand-mère. Je n’étais pas heureuse, mais ils ont fait de leur mieux. J’ai abandonné l’école lorsque j’avais 15 ans, et ce fût au même âge que j’ai eu mon premier fils. À 16 ans, j’ai eu mon deuxième, à 17 ans mon troisième, à 18 ans mon quatrième et à 19 ans mon cinquième. Mes enfants ont tous le même père, mais nous nous sommes séparés par la suite.
Je suis déménagée au Canada, à Montréal, avec mes enfants lorsque j’étais une jeune adulte. Dès mon arrivée, j’ai loué mon premier appartement et j’ai trouvé un emploi comme femme de ménage dans un motel. Mes voisins se chargeaient de garder mes enfants lorsque je travaillais. J’étais pauvre et le peu d’argent que je gagnais subvenait aux besoins de mes enfants. Ma vingtaine se résume essentiellement à travailler d’arrache-pied, gagner le strict minimum et faire vivre ma famille. La routine quoi : travailler, manger, dormir…
C’est à l’âge de 30 ans que ma vie a complètement été chamboulée, et ce, pour toujours. Je peux honnêtement dire que j’ai vécu la journée la plus difficile de ma vie à cet âge. J’étais au salon lorsque j’ai entendu la cloche de l’appartement sonner. C’était la police qui m’annonçait que mon fils aîné était mort. Lorsque ces mots sont sortis de la bouche du policier, j’ai dû m’évanouir. Je n’y comprenais rien. Que s’était-il passé ? Un coup de feu tiré par la police qui avait mal identifié un suspect… Mon fils, mort par accident. À ce jour, j’ai encore des images vivides de la scène, un traumatisme profondément ancré. La mort de mon fils a été l’élément déclencheur de mes troubles de santé mentale, notamment une dépression majeure.
De nombreuses années après l’incident, alors que mes enfants étaient plus vieux, je suis déménagée à Ottawa, car j’avais besoin de changer d’air. Dès mon arrivée, je me suis rendue à l’hôpital pour y recevoir des soins en santé mentale. J’étais prête ! Un sentiment de noirceur et l’envie de mourir m’envahissaient depuis la mort de mon fils. J’ai été diagnostiquée avec un trouble bipolaire et dépressif ainsi que de l’anxiété aigue. La médication prescrite m’aidait. Je fonctionnais relativement bien. J’avais mon petit appartement, je payais mes factures et j’appréciais mon train-train quotidien.
Or, il y a deux ans, ma vie a encore basculé. J’ai été plongée dans un épisode de manie sévère. Mes médicaments ne semblaient pas bien dosés. La police est débarquée chez moi et j’ai été internée à l’hôpital Royal d’Ottawa durant des semaines. Depuis cet épisode, je ne me sens plus moi-même. Le dosage des médicaments est élevé. Je marche constamment dans un brouillard, mes souvenirs sont vagues, ma mémoire n’est plus ce qu’elle était. Certes, je ne peine pas autant la mort de mon fils, mais je suis engourdie et désensibilisée au monde qui m’entoure. En un sens, je suis heureuse dans mon petit monde, mais également peinée de ne rien ressentir. Depuis cette cloche, je ne suis plus la même, depuis ce séjour à l’hôpital, je me suis perdue.
Je visite le Centre espoir Sophie, puisque j’y trouve beaucoup de réconfort, des amitiés significatives et du soutien auprès des intervenantes. Malgré les défis que je rencontre dans mon quotidien, j’éprouve un fort sentiment d’appartenance au Centre. Le simple fait de savoir que des gens se soucient de mon bien-être et de ma personne me fait chaud au cœur. Je suis traitée avec douceur et empathie, bref, comme un humain à part entière. Cela me donne la force de continuer à avancer, de prendre mes médicaments systématiquement et surtout l’espoir d’aller mieux !
Sincèrement,
Bertha
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